Arts et climat

Comment ne pas s’interroger en 2019 sur les changements climatiques et les manières de lutter, s’adapter et construire un avenir pour les futures générations ? L’art pourrait avoir une place importante dans cette question cruciale. En novembre dernier, dans le cadre des conférences internationales de la Biennale CINARS 2018 sous le thème de SENS & MUTATIONS, nous avons invité le futurologue Sanjay Khanna à nous partager sa vision. Cette vidéo est désormais accessible au public et j’en profite pour partager mes très modestes recherches sur le sujet et ce que la merveilleuse rencontre avec Monsieur Khanna m’a fait comprendre.

L’art, outil exceptionnel de réveil des consciences

Nous connaissons tous l’existence des changements climatiques grâce au travail des scientifiques. Notre contact avec cette réalité effrayante passe donc généralement par des graphiques et des chiffres traités par notre cerveau analytique. Cependant, face à l’inconcevable, les dimensions émotives et intuitives sont essentielles pour une véritable compréhension et transformation personnelle. Quoi de mieux que les arts pour cela ? L’expérience artistique, de par sa nature, touche les émotions et l’intuition, mais aussi demande aux spectateurs un abandon, une complicité et de suspendre son incrédulité pour s’ouvrir à une invitation, une proposition.

Dans le contexte des changements climatiques, le narratif a également toute son importance. Dans un article scientifique publié en 2018 sur l’art dans le contexte du réchauffement planétaire, les cosignataires s’entendent pour dire que « pour envisager un avenir ou la température ne dépassera pas les 1,5oC, il faut développer des récits d’espoir. L’art peut être un moyen d’envisager, d’exprimer et de façonner le type de société que nous voulons collectivement créer. » 1

Le mouvement des artistes qui font le choix de sensibiliser leurs publics aux questions climatiques est en pleine croissance et est en pleine effervescence pour ses approches innovantes et inclusives. Le site Artists & Climate Change, dirigé par cinq artistes femmes issues de quatre disciplines différentes dans trois pays en est un bel exemple.

L’art, pour créer des liens et construire des communs

Au-delà d’aider à la compréhension profonde du réchauffement planétaire et d’imaginer de nouveaux narratifs, l’art pourrait aussi avoir un rôle de liant entre les gens. Les catastrophes plus courantes comme les inondations, les cyclones, la nécessité de partager des ressources augmenteront considérablement notre niveau de dépendance les uns des autres et le besoin de construire des « communs »2. Cependant, nos sociétés qui ont été plongées dans l’individualisme durant les dernières décennies ont un apprentissage majeur à faire pour être en mesure d’envisager des sentiers collectifs.

Les lieux culturels pourraient véritablement embrasser la mission de devenir les lieux de rapprochement entre les citoyens : faire vivre des expériences collectives significatives, mieux se connaître et créer des connexions profondes. La question de créer des espaces culturels inclusifs, propices à la rencontre et au dialogue prend alors une fois de plus tout son sens.

Le travail de la compagnie multidisciplinaire québécoise Quand L’art passe à l’action (ATSA), qui crée depuis plus de 20 ans des espaces de dialogue dans les villes du monde entier, en est un magnifique exemple.

L’art vivant, le lieu du moment présent

Les impacts psychologiques des changements climatiques sont énormes et deviendront dans les prochaines décennies un des plus importants enjeux de santé publique. Une des manières de lutter contre l’angoisse et la peur, sera de vivre dans le moment présent, pour garder autant que possible le contrôle du bateau en cette période de tempête intérieure. On parle beaucoup aujourd’hui des vertus de la Pleine conscience (Mindfulness), mais l’art vivant, de par son caractère unique et éphémère pourrait aussi devenir un lieu exceptionnel de contact avec le moment présent. « Le spectacle, le moment où tu es dans une salle avec d’autres personnes et qu’un événement se déroule en direct, est un moment qui demande un profond engagement. Quand nous prenons conscience de la performance en elle-même, ne serait-ce qu’un court instant, nous sommes appelés à développer des aptitudes d’attention et d’intention et donc de cultiver l’habilité d’entrer en profond état de conscience. » Andy Horwitz3. En 2015, le musicien anglais Rolf Hind a même poussé plus loin la recherche en écrivant un premier opéra de la pleine conscience pour le Mahogany Opera. Les possibilités sont immenses et je parie que la danse a ici un champ d’exploration infini pour éveiller au présent et soulager des peurs.

L’art vivant doit faire aussi sa part dans le développement durable

L’art peut avoir un rôle positif quant aux changements climatiques, mais encore faut-il que le prêcheur soit converti et pratiquant. Cependant, les arts vivants peuvent être une source importante de pollution. Pensons aux décors et costumes qui ne servent parfois que pour 10 soirs. Les tournées non rationalisées en termes d’impact carbone ou encore la tendance généralisée de vouloir tout simplement croître. La liste pourrait être longue et la diminution de l’impact humain sur l’environnement est une responsabilité de tous et partout. Le Conseil des arts de l’Angleterre a été le premier en 2012 à mettre en place des mesures pour inciter le secteur culturel au virage vert et les résultats cinq ans plus tard étaient déjà fort encourageants. La consommation d’énergie des organismes avait diminué de 23% sur la période et les émissions de CO2 de 35%4. Certains festivals dans le monde ont même choisi d’axer toute leur stratégie autour des changements climatiques, comme en France We love Green qui est un exemple intéressant d’événement temporaire à très faible impact environnemental ou encore le festival Sziget à Budapest.

Ces quelques avenues de réflexions sur la place de l’art face aux changements climatiques ne sont qu’une infime partie de la richesse d’un tel sujet. L’art, dans ce contexte, prend tout son sens et pourrait même se rapprocher du sacré, si seulement l’égo disparaissait des scènes pour laisser la place à l’artiste au service du commun.

1 - Raising the temperature’: the arts on a warming planet

2 - communs : Un commun est une ressource partagée, gérée, et maintenue collectivement par une communauté.

3 Live art in the age of Mindfulness

4 Sustaining Great Art and Culture Environmental Report

Anne-Laure Mathieu